Les Apôtres, avaient-ils un dictaphone?


Frère Jean-Baudouin

 

Il y en a qui se posent des questions sur comment les apôtres ont pu retenir les paroles de Jésus et les mettre par écrit bien plus tard. En poussant trop loin ces doutes ils mettent en question la véracité de l’Evangile. Même Arturo Sosa Abascal, Supérieur général de la Compagnie de Jésus, semble aller trop loin lorsqu'il dit : « il serait nécessaire de commencer une vraie réflexion sur ce que Jésus a vraiment dit… A son époque, personne n’avait un magnétophone pour enregistrer ses paroles [1] ».

 

Ici nous voulons démontrer que les Evangélistes ont bel et bien retenu la Parole du Christ et comment cela s’est fait. Pour ainsi faire nous allons entre autre suivre l’argumentation de deux professeurs du NT :  Richard Bauckham et Brand Pitre.

 

Argumentation du prof. Richard Bauckham [2] 

 

Bauckham écrit que les historiens de l'Antiquité, tels que Thucydide, Polybius, Josèphe et Tacite, étaient convaincus que la véritable histoire ne pouvait être écrite que lorsque les événements étaient encore dans la mémoire vive ; ils s’inspiraient de rapports oraux de témoins oculaires. Idéalement, l’historien lui-même aurait dû prendre part aux événements qu’il raconte - comme par exemple Xénophon, Thucydide et Josèphe - mais comme il ne pouvait pas avoir été à tous les événements qu’il raconte ni à tous les endroits qu’il décrit, l'historien devait également s'appuyer sur des témoins oculaires dont il pouvait entendre les voix vivantes et qu'il pouvait interroger lui-même[3]”.

 

Lucien de Samosate, auteur romain biographe du IIème siècle disait que l’historien ne peut sacrifier à aucun dieu sauf à la vérité, et que les faits ne peuvent être collectés au hasard, mais qu’il faut plutôt investiguer avec labeur consciencieux. Un article sur Cahtolic.com[4] construit à partir de ces citations l’argumentation suivante :

 

Cette citation de Lucien de Samosate nous ramène au prologue de St Luc (1, 1-4) où il décrit comment il a consulté différentes sources pour créer un récit historique de ce que Jésus avait dit et fait. Luc comme Lucien étaient dédiés à transmettre les faits d’une manière précise. Mais Lucien a également écrit : « L’esprit de l’historien ne peut être étranger à une touche de poésie ». Voici ce que Lucien écrit sur la façon d’enregistrer des discours. D’après lui, « les discours doivent être accordés à l’intention de l’orateur et aux circonstances… mais dans ces cas on a le droit de montrer son éloquence ». Autrement dit, des historiens peuvent composer des discours avec des mots qui n’ont peut-être pas été exprimés par l’orateur, du moment que les mots choisis auraient pu être dit par l’orateur.

 

Professeur en historiographie Jonas Grethlein confirme: « C’est connu que la plupart des discours dans l’antique historiographie ne reproduisaient pas verba ipsissima, [ce qui était dit mot par mot]». Du moment que l’intention et la signification de l’orateur étaient préservés, un historien antique était libre d’utiliser des mots qui différaient des paroles de l’orateur. Nous faisons la même chose de nos jours quand nous paraphrasons des discours lors d’évènements formels. Quand quelqu’un nous demande : « qu’a-t-il dit» , nous lui offrons un résumé avec quelques citations, et non pas un récitation mot par mot.

 

Argumentation du prof. Brand Pitre

 

Pitre (prof. de la Sainte Ecriture au Augustine Institute, Etats-Unis) dit qu’il faut discerner trois étapes dans la formation des Evangiles : la vie et l’enseignement de Jésus Christ, la prédication des Apôtres et la mise par écrit des Evangiles. D’après lui les disciples de Jésus étaient des étudiants, dans un contexte de relation « rabbin-disciple », qui retenaient ce que Jésus dit et fit. Être disciple de Jésus était fort différent de la discipline d’un étudiant aujourd’hui, c.à.d. assister ou non à des cours de plus ou moins 50 min. Le disciple de Jésus devait Le suivre partout où il allait, laisser sa maison, sa famille et son confort, l’Ecouter en tout temps et cela durant 3 ans... Les Evangiles démontrent que cela incluait retenir ce qu’Il disait (Mt 16, 9 ; Mc 8,18 ; Jn 15, 20 ; 16,4) [5].

 

Ensuite il démontre que les disciples, à force de prêcher la Parole, se sont identifiés aux enseignements de Jésus :

 

Durant les années entre la Résurrection de Jésus et la mise par écrit des Evangiles, les disciples ont exercé leur mémoire à force de prêcher et d’enseigner. Ils ont déjà commencé cet exercice quand Jésus était encore avec eux, par exemple quand Il les envoyait en mission deux à deux, en leur donnant pouvoir sur les esprits impurs (Mc 6,7). Comme le dit Richard Bauckham : « la répétition est un facteur important pour garder la mémorisation et la mémorisation exacte » [6].

 

Cela est correct. Chaque professeur/conférencier pourra l’affirmer. Peut-être qu’il ne se rappellera pas de ce qu’il a fait l’été dernier mais il pourra se rappeler presque mot à mot de l’exposé de son étude (même très longue) puisqu’il parcoure le pays pour donner des conférences à ce sujet. La répétition fait que le sujet colle pour ainsi dire aux os.

 

Finalement les Evangélistes ont écrit ce qu’ils ont eux-mêmes témoigné et mémorisé - St jean ou St Matthieu - ou ce qu’il leur fut  « transmis par ceux qui ont été des témoins oculaires dès le commencement » (Lc 1,2 ; Jn 21,24). Le Concile Vatican II, dans la constitution dogmatique Dei Verbum, confirme : 


« Les auteurs sacrés composèrent donc les quatre Évangiles, choisissant certains des nombreux éléments soit oralement soit déjà par écrit, rédigeant un résumé des autres, ou les expliquant en fonction de la situation des Églises, gardant enfin la forme d’une prédication, de manière à nous livrer toujours sur Jésus des choses vraies et sincères » [7].

 

Capter l’Esprit du maître

 

Les lois de transmission chez les juifs et aujourd’hui encore chez les soufis ne permettaient pas qu’on prenne des notes. Ils accentuaient la transmission vivante par acquisition de l’esprit du maître. On voit cela dans la demande d’Elisée à Elie : « Qu'il y ait sur moi, je te prie, une double portion de ton esprit! (2 R 2,9) ». Dans de nombreux passages de l’Évangile on lit que les Apôtres ne comprenaient pas ce que Jésus disait – il n’avaient pas encore reçu l’Esprit (Mc 9, 32 ; Lc 9, 45 ; Jn 20, 9 ; Mc 7, 18 …). C’est l’Esprit de Jésus qui leur fera comprendre : Alors il leur ouvrit l'esprit, afin qu'ils comprissent les Écritures (Lc 24, 45).

 

Après l’effusion de l’Esprit Saint les Apôtres sont devenus des prophètes :  « le témoignage de Jésus est l'esprit de prophétie » (Ap 19, 10). C’est plus précis qu’un enregistrement. En enregistrant on peut louper l’esprit du maître n’ayant pas de relation personnelle avec lui. Chaque Evangéliste a expérimenté le Christ. Il y a une différence entre l’écrit  d’un historien tel que Flavius Josèphe  qui parle du Christ et l’expérience personnelle des Apôtres. Chaque Évangile démontre une sensibilité spécifique, un aspect personnel. L’Évangile est un texte vivant. Il a été écrit par les Apôtres, qui ont vécu personnellement avec le Christ ou qui ont entendu des témoins oculaires qui ont vécu avec le Christ. Leur entreprise a été inspirés par « l'Esprit de vérité ».

 

Les disciples se rappelaient des instructions de leur Maître et Notre Seigneur Jésus Christ, ils n’avaient pas besoin de les noter car ils les avaient assimilés, même les longs discours, à travers leur vécu avec Jésus Christ et à travers leur prédication, avant comme après sa Résurrection.  Plusieurs années après les Évangélistes ont mis par écrit ce que Jésus a dit et fait. L’Esprit Saint leur est venu en aide  pour pouvoir comprendre le message du Salut et de le prêcher avec justesse et de le mettre par écrit sans erreurs (cf. Jn 14,25-26).

 

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[1] Média-presse.info. https://www.medias-presse.info/le-pape-noir-des-jesuites-amoris-laetitia-et-la-reinterpretation-de-la-parole-de-jesus/71867/,  consulté le 22 juin 2019.

[2] R. Bauckham : professeur retraité du NT de l’université de St Andrews, Ecosse 

[3] Richard Bauckham, Jesus and the yewitnesseshttps://books.google.com/books?id=tE8xDwAAQBAJ&pg=PA1&source=gbs_toc_r&cad=4#v=onepage&q&f=false, consulté le 23 juin 2019.

[4] How to Resolve Alleged Gospel Contradictionshttps://www.catholic.com/magazine/online-edition/how-to-resolve-alleged-gospel-contradictions%20one%20another, consulté le 22 juin 2019.

[5] PITRE Brant. The Case for JesusNew York, Image, 2016, p. 84-86

[6] PITRE Brant. The Case for Jesus. New York, Image, 2016, p. 221

 

[7] Pape Paul VI, Constitution dogmatique Dei Verbum, n° 18, http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651118_dei-verbum_fr.htmlconsulté le 22 juin 2019