Prière du coeur ou oraison (prière sans paroles)


Mère Agnès Mariam de la Croix

 

Cette prière se réalise à partir de l’intérieur de la personne vers son intérieur. La différence entre cette prière et la prière orale est que dans la prière orale on utilise sa bouche pour s’adresser au Seigneur d’une manière auditive.

 

La prière du cœur repose sur une vérité de foi qui dit que Dieu habite en nous. Comment, puisque nous le voyons pas ? Dieu est esprit (cf. Jn. 4, 24) ; sa présence est spirituelle. Il est vraiment présent mais au-delà de nos sens. Cette réalité nous oblige à traiter avec Lui à partir de la foi. C’est ce que Jésus a fait comprendre à Ste Madeleine lorsqu’elle a voulu le toucher après sa résurrection : « Jésus lui dit: Ne me touche pas; car je ne suis pas encore monté vers mon Père » (Jn. 20,17). Pourquoi « ne me touche pas » ? C.à.d., « ne me retiens pas dans ta dimension qui est une dimension mortelle et précaire ». Nous sommes dans une dimension de mort, une dimension de transition. Le Seigneur, après sa résurrection est rentré avec son corps dans la dimension de l’éternité. La relation avec le Seigneur n’est plus une relation à travers les sens mais à travers l’Esprit Saint ; l’oraison est l’acquisition de l’Esprit Saint. Mais comment pouvons-nous, pauvres créatures qui savons à peine prier, acquérir l’Esprit Saint ? C’est ce que nous allons apprendre.

 

Comment commencer?

 

Que faire quand nous rentrons à l’église ou dans notre cellule pour s’adonner à la prière du cœur ? Considérons avant tout notre cœur comme un temple où réside le Seigneur. Là où est le Seigneur, là est son temple. Comment se tenir dans ce temple? On va au moins être présent : une attitude intérieure qui fait qu’on se rend compte, qu’on est conscient d'être devant le Seigneur. Suit une confession des péchés. On se prépare pour rencontrer le Seigneur, est donc requis une attitude d’humilité. Si on confesse ses péchés, c’est parce que nous sommes devant notre Sauveur, n’oublions jamais cela. On ne confesse pas ses péchés uniquement pour se mépriser, on les confesse pour proclamer que Celui qui siège sur son trône est le Père,  que devant lui il y a l’Agneau immolé qui est debout (cf. Rv. 4). Ensuite, dans un acte de foi, dirigeons notre attention vers Celui qui est là ; c’est une attitude intérieure, une attention à une présence qui est réelle même si on ne la voit pas. C’est un acte de foi. 

 

Méditation pour arriver à la contemplation

 

Au début il est difficile de rester longtemps dans cet acte d’attention. Que faire ? Il est alors bon d’avoir un livre, [de préférence la Sainte Bible], une image, un paysage de la nature sur lequel on pose son attention et à partir de là s’élever vers Celui qui est au-delà des sens : utiliser les sens pour aller au-delà des sens ; la méditation pour arriver à la contemplation. La méditation, c’est lorsque notre attention a besoin de quelque chose de sensible pour être retenue. La contemplation, c’est nager dans l’océan de Dieu sans bouée. La méditation est la bouée. La contemplation, c’est nager sans bouée.

 

Donnons quelques exemples pour clarifier. On a commencé la prière du cœur et on est perdu : on ne sent rien, on ne sait quoi faire. C’est le moment de prendre un livre, une image ou de contempler un paysage et à partir de là, méditer par exemple sur le fait que le Seigneur est avec nous : « Le Seigneur est proche, Il m’aime, il a fait tant pour moi durant ma vie : son Incarnation, sa Rédemption... Tant de thèmes qui peuvent attirer notre cœur et retenir notre attention pour s’élever vers Lui. Il est bon de pratiquer cet exercice pendant un bon moment, pour avoir une certaine habitude à durer dans cette oraison du cœur.

 

Il ne s’agit pas de prendre la fuite : « Spiritual Entertainment » où on s’entretient spirituellement. La méditation est quelque part artificielle mais très nécessaire. Artificiellement je retiens mon attention pour qu’elle se pose sur le Seigneur, de n’importe quelle manière. L’important, c’est de se rappeler de Lui : « La mémoire du Seigneur » ! Nos frères musulmans emploient cette expression mais ils ne savent pas ce que ça veut dire ; ça vient de nos moines syriaques : « N’oublie pas la mémoire de Dieu », μνήμη Θεοῦ. Les Pères du désert pratiquaient cette exercice à longueur de jours, fixant leur attention sur la présence de Dieu. La méditation est donc un moyen divergent,  intermédiaire, pour retenir son attention et de se rappeler de Dieu.  En pratiquant cela,  d’une manière invisible, l’âme s’approche spirituellement de Dieu.

 

Ce n’est pas le sensible qui compte, ou encore le sujet sur lequel on a médité : « J’ai fait une grande méditation, j’ai compris le mystère du troisième ciel, et ce qu’est le jugement »... Le contenu de la méditation n’est pas important. Il s’agit de se rapprocher de Dieu par son attention, par son intérêt. Ainsi, sans s’en rendre compte on approche du feu. Peu importe la voiture qu’on emploie pour arriver à destination, une petite Peugeot, ou une Rolls Royce. L’important est de se rapprocher de Dieu. Petit à petit on remarquera qu’à l’intérieur de nous on est à l’aise, content. Parfois on vient me dire : « J’étais à la prière du cœur et je me sentais en paix, je ne voulais pas que ça finisse » : c’est la présence du Seigneur qui commence à réchauffer l’âme. Quand on sent ça, on est content, heureux. Il ne faut plus continuer la méditation, mais rester gratuitement en présence du Seigneur.

 

L’attention amoureuse

  

C’est la grande communion entre l’être humain et son Dieu. C’est une communication dans l’Esprit Saint parce que l’Esprit Saint fait l’unité entre l’homme et Dieu. L’oraison est donc une mise en activité des dons du baptême. Tous les chrétiens devraient prendre un temps de prière du cœur. C’est ce que Jésus dit à la Samaritaine : « l'heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car ce sont là les adorateurs que le Père demande » (Jn 4, 23). Dieu est esprit. Ça ne veut pas dire qu’il est un fantôme ! L’Esprit est un être accompli en soi, qui n’a pas besoin de la matière pour être. La matière est mortelle, limitée.

 

Question : Quelle position est-il bon de prendre ?

 

Tout ce qui aide à retenir notre attention est bon. On peut se mettre à genoux, assis, à plat ventre, sur son dos. Quand on va à l’oraison, c’est comme-si on allait au travail. On y va en ordre déterminé parce que c’est une mise en pratique de la souveraineté de la personne sur elle-même. C’est comme quelqu’un qui rentre dans sa maison avec sa clé. Personne ne peut ouvrir cette porte sauf lui. Quand il l’ouvre, personne ne la ferme. C’est la clé de David qui a été donnée à l’Eglise, aux Apôtres, et à chaque personne pour son propre intérêt (cf. Rv. 3,7). C’est en souverain qu’on rentre chez soi pour rencontrer son Dieu. Quand on y va avec ce courage et cette décision, l’édifice intérieure se construit.

 

Question : On peut faire ça avant de se coucher ?

 

Bien sûr. On peut faire ça quand on veut. Je le fais une demi-heure [par jour]. C’est un rendez-vous. Une demi-heure c’est une demi-heure, pas une seconde de moins. C’est un acte de la volonté qui se met en œuvre, un acte spirituel.

 

Comment travaille notre intérieur

 

Quand on rentre en soi il faut savoir comment on fonctionne. Notre intérieur n’est pas un lieu connu au commencement. On doit s’attendre à rencontrer notre sensibilité : on n’aura pas envie, on se sentira fatigué, énervé, ennuyé, on se posera pleins de questions, on aura peur; il faut s’y attendre.

 

Il y a plus, il y a l’imagination : je veux me taire mais en moi il y a quelque chose qui parle tout le temps. Des souvenirs, des projets, trente-six mille choses surgissent. C’est notre nature involontaire, on n’y peut rien. Petit à petit on apprendra à faire une distance entre ces choses et nous. Moi, je suis comme un roc ; au début un petit roc. Un navire est attaché au roc et est balloté par beaucoup de choses. On apprendra petit à petit à prendre la corde du navire et de la lancer autour du roc de notre attention. Puisqu’au début c’est un petit roc et que la mer est houleuse, le navire va souvent se détacher. Dès qu’on s’en rend compte, on se jette à l’eau pour ramener la barque et l’attacher autour du roc de notre attention.

 

On dira : à quoi ça sert, et puis est-ce une prière ? Ce qui compte, c’est l’intention : avoir la volonté d’être en présence du Seigneur. Tout ce qu’on fait durant ce temps concourt à cette intention. C’est une grande prière ; on s’y prépare pour rentrer en communication avec notre Bien-aimé. C’est ce qu’on appelle être attentif à Dieu. L’attention, c’est donner à Dieu tout l’intérêt de notre cœur, c’est un acte d’amour. Si je vous parle et que vous êtes indifférents à mes paroles, votre attention va voguer autre part, vous n’allez pas m’écouter. La présence est une présence spirituelle. Vous pouvez être présents corporellement mais spirituellement vous pouvez voguer en Italie, en Belgique, à Saïdnaya, n’importe où. Celui qui est présent à une posture spirituelle. C’est à ce niveau-là qu’a lieu l’alchimie de la prière du cœur. Là, notre présence, éclairée par la foi, se transforme en une présence aimante ; là, la lumière de la foi, fait poindre en nos cœurs le feu de l’amour. Ainsi on peut, sans trop de bruit, exprimer notre amour à Celui qui est là.

 

Conclusion

 

Quand on va à l’oraison ça ne fait rien si on ne sait pas comment faire. L’important est de commencer. On peut être là comme des imbéciles et répéter le nom de  Jésus [1], et essayer que notre attention ne s’éloigne pas trop de Lui. Prenons le temps de nous sentir à l’aise, sans tensions – pas de stress dans l’oraison - dans la paix. Durant l’oraison il est très important de lire la Sainte Ecriture car elle est remplie de l’Esprit Saint. Ne rentrons pas trop dans des considérations intellectuelles [en méditant]. Ça ne dérange pas trop mais mieux vaut lire la Bible [quand on a du mal à rester dans le silence]. Elle contient des mines d’or pour nous faire rentrer dans la prière du cœur : les Psaumes, la prière du roi Ezéchias, la prière du roi Manassé, … Pour finir, il est très important de considérer la Vierge Marie à l’intérieur de ce temple, elle est l’Arche d’Alliance.

 

Au début on va à l’oraison comme si on allait au travail, mais après on y va pour célébrer les noces de l’Agneau. Voilà la finalité de l’oraison. Je vous souhaite de trouver dans l’oraison de demain les prémices du grand cœur à cœur avec le Bien-aimé.

 


[1] On peut également répéter la prière de Jésus: “Seigneur Jésus, Fils du Dieu vivant, aie pitié de moi pauvre pécheur et sauve moi ». Les moines en Orient répètent souvent cette prière qui forme le résumé du Salut Evangélique.