Joie et espérance de l'amour conjugale

AMORIS LAETITIA

 

 L’exhortation Amoris Laetitia du pape François a reçu des commentaires animés. Père Daniel trouve que ce document a clôt définitivement les discussions sur la contraception artificielle.

Amoris laetitia

 

Joie et espérance de l’amour conjugale et de la famille

 

 

Après un bref synode préparatoire (5-19 octobre 2014), le XIVe synode ordinaire général sur la famille, avec la participation de  279 évêques, a eu lieu à Rome (4-24 octobre 2015). L’attention des média  était assez grande : l’opinion publique aime s’amuser à opposer les différentes opinions  en  « progressistes » et « conservatrices ». Et c’est vrai, les débats ont en fourni  assez d’occasions. Ceux qui aimeraient accepter certaines opinions modernes ont pu librement exposer leurs idées, ce qui a invité les autres à souligner clairement la nécessité de rester fidèles à la tradition. Pourtant, la valeur doctrinale est finalement donnée par l’exhortation postsynodale du  pape François, « Amoris laetitia » (19 mars 2016). Cette exhortation a reçu également des commentaires animés  et très différents. Pour les uns c’est la négation de la doctrine traditionnelle, pour les autres elle ouvre un nouvel horizon dans l’Eglise. Voici ce que nous découvrons dans cette exhortation.

 

 Un nouveau style

  

L’exhortation postsynodale Amoris laetitia sur l’amour dans la famille nous est présentée dans un style assez différent de ce à quoi nous sommes accoutumés. Une grande attention est donnée aux situations humaines et psychologiques, ce qui énerve certaines personnes et est agréable aux autres. Le document contient 325 numéros et 391 notes.  Il surpasse en longueur amplement le plus long document du saint pape Jean Paul II, Evangelium vitae. Pape François veut stimuler les mariés à employer toutes leurs possibilités. En long et en large les défis et les difficultés sont exposés pour les fiancés, les jeunes mariés, les familles, les vieux couples. Grâce à ses explications et à beaucoup de suggestions, le texte est assez accessible. Le premier chapitre « A la lumière de la Parole » est très riche. Il  offre un commentaire minutieux sur plusieurs  textes bibliques : Genèse 1-2, psaumes 127 et 128, le Cantique de l’amour de 1 Corinthiens 13. Ensuite, une grande importance a été donnée à la miséricorde, la tendresse, la clémence, la patience envers tous ceux qui se trouvent dans des situations irrégulières. Le but est d’arriver à un bon discernement pour découvrir les possibilités de les réintégrer. Le pape veut donner spécialement à eux une  consolation et un espoir, ensemble avec un doux appel à la conversion.  Ainsi le document nous  est présenté dans une atmosphère cordiale et ouverte.  Une plus grande attention est accordée à l’église locale, aux évêques et aux prêtres pour accompagner les gens qui vivent dans des situations irrégulières. Au lieu de condamner et d’imposer des directives, l’exhortation veut plutôt  écouter et chercher les valeurs positives pour arriver à une réintégration. C’est clair que cette exhortation veut être avant tout pastorale, plutôt que doctrinale.

  

Des confusions

 

Il y a des déclarations qui peuvent susciter  des confusions. La grande importance donnée à une  pastorale de miséricorde pourrait nous conduire à une morale subjectiviste et relativiste. Si « tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles » (nr. 3), qui a alors  l’autorité pour  trancher ?  Ou bien, est-ce que ce n’est plus nécessaire ? Ce numéro continue en disant que c’est finalement l’Esprit Saint qui nous guidera vers la vérité plénière et que les différentes cultures peuvent mettre les mêmes situations dans une autre lumière. De telle manière le pape semble vouloir relativiser sa déclaration. Dans la note 351 le pape cite son exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013) en disant que « le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur ». Et quelles sont les conséquences concrètes ? De la même exhortation il cite cette phrase remarquable : « Je souligne également que l’Eucharistie «  n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (note 351). Il me semble impossible de considérer cette déclaration passagère comme un changement de doctrine. C’est bien sûr un changement de style. Un document de l’Eglise doit  toujours être lu dans  la lumière de la doctrine entière de l’Eglise. Ni un pape ni un concile œcuménique n'ont l’autorité d’approuver un mariage civil pour ceux qui ont conclu auparavant le sacrement du mariage et de leur permettre sans plus l’accès à la sainte communion. Même l’Eglise ne peut changer une loi divine. L’adultère reste un mal intrinsèque.  Amoris laetitia semble suggérer que des relations sexuelles en dehors du mariage en certaines situations pourraient être acceptables, ce qui est contre la doctrine de l’Eglise. Néanmoins, Dieu reste pour nous un mystère insaisissable. Il a ses propres moyens pour entrer dans  la vie des hommes et Jésus ne s’enferme  même pas dans sa propre sainte Eucharistie. Un autre danger est celui du temps postconciliaire.   Vatican II nous  a donné une doctrine  solide pour beaucoup de terrains.   Pourtant,  une certaine atmosphère a été créé dans  ce sens: “auparavant ce n’était pas permis, maintenant c’est permis”. Ainsi des changements sont introduits, rapides et massifs,  qui n’étaient pas  fondés sur la vraie doctrine du Concile.  La même chose pourrait arriver maintenant, de telle manière qu’il y aura  une sorte de schisme dans la pratique pastorale. C’est pourquoi quelques évêques, des théologiens et des pasteurs  ont demandé que l’imprécision ou l’ambiguïté de certains passages soit dissipée par une déclaration explicite du pape.

 

 L’importance de la  miséricorde

 

 L’Eglise est présentée comme « un hôpital de campagne »  (nr. 291). Selon l’expression de Saint Jean Chrysostome (+ 407) l’Eglise est comme un hôpital où les malades soignent les malades.  Nous sommes invités à accueillir  tous les malades, les blessés, les handicapés de notre temps avec beaucoup d’amour, de miséricorde et de patience, dans la vérité et sans  oublier leurs propres responsabilités ou possibilités. Il faut éviter chaque forme de pharisaïsme et d’« une morale bureaucratique froide » (nr. 312) et agir avec authenticité, bien que ce ne soit pas clair quelles sont les conséquences concrètes du  chemin « de la miséricorde et de l’intégration » (nr. 296) ni de « la logique de la compassion » (nr. 308). Le huitième  chapitre  s’agit de : Accompagner, discerner et intégrer la fragilité. Le chapitre est d’un côté riche de contenu, de l’autre côté confus pour ce qui est la pratique de la participation à la sainte communion de la part des divorcés,  remariés civilement.  Ce n’est pas clair ce que  l’évêque et des prêtres peuvent faire dans ces cas.  Cette  exhortation pourrait augmenter les divisions dans la pratique pastorale. Finalement, un plus grand encouragement envers les divorcés qui restent fidèles de leur côté et qui veulent témoigner de l’indissolubilité de leur mariage au milieu de leur vulnérabilité aurait été désirable. Ainsi amoris laetitia ou la joie de l’amour pourrait être enrichie par veritatis laetitia ou la joie de la vérité et ce reproche du prophète Isaïe serait évité : « Malheur ! Ils déclarent bien le mal et mal le bien. Ils font de l’obscurité la lumière et de la lumière l’obscurité. Ils font passer pour amer ce qui est doux et pour doux ce qui est amer » (Isaïe 5, 20).

 

Confirmation de la doctrine de l’Eglise

 

Le Concile Vatican II a élaboré l’amour conjugal dans  la lumière d’un don réciproque total de soi-même. Le Concile n’a pas simplement repris les mots de la tradition, mais il a mis la doctrine traditionnelle dans une vision plus dynamique. La constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et spes nr. 48-52) parle six fois du don réciproque de soi-même. Ainsi le concile nous a donné une synthèse des « biens du mariage » selon st. Augustin et des « buts/fins du mariage » selon st.  Thomas d’Aquin. Eh bien, à travers tout  le document Amoris laetita, l’amour conjugal est présenté de différentes manières comme un don total réciproque de soi-même (nrs. 27, 39, 67, 73, 74, 75, 80, 88, 89, 101, 120, 125, 151, 156, 157, 161, 165, 190, 198, 220, 280, 283, 292, 298, 303, 315, 319, 323). Les mariés et leur famille sont  considérés comme une image de la Trinité, Père, Fils et Saint Esprit, qui est « Famille », « Communion » d’un don total et réciproque d’amour fertile. Ils participent en même temps au grand mystère de l’unité du Christ avec son Eglise. Jésus Christ a aimé son Eglise et Il  a donné sa vie pour elle. Dans cette lumière il n’y a plus aucun doute possible envers la contraception artificielle, qui rend le don  total de soi-même impossible et déforme ainsi  l’amour conjugal. Par la contraception artificielle on ne se donne pas totalement ou on n’accepte pas l’autre totalement. Pendant un demi-siècle des théologiens en Occident se sont efforcés de chercher  un  moyen pour déclarer la contraception moralement acceptable. Ce chemin est définitivement rejeté par l’exhortation postsynodale Amoris laetitia. Comme les deux synodes préparatoires (2014-2015), l’exhortation souligne nettement : « Il faut redécouvrir le message de l’Encyclique Humanae vitae de Paul VI, qui souligne le besoin de respecter la dignité de la personne dans l’évaluation morale des méthodes de régulation des naissances » (nr 82). « En ce sens, l’Encyclique Humanae vitae (cf. nn. 10-14) et l’Exhortation Apostolique Familiaris consortio (cf. nn. 14 ; 28-35) doivent être redécouvertes » (nr. 222 ; cfr. nr. 68). Ce que le saint pape  Jean Paul II a élaboré est ici repris comme   un manuel. Ainsi, « l’Église rejette de toutes ses forces les interventions coercitives de l’État en faveur de la contraception…» (42). Pape François parle ensuite de la grandeur de la femme et de son ‘génie féminin’ dans le sens de Jean Paul II et il ajoute : «  J’apprécie le féminisme lorsqu’il ne prétend pas à l’uniformité ni à la négation de la maternité. » (nr. 173). Les catéchèses  de Jean Paul II sur « la théologie du corps » sont expressément saluées (nr. 151). Ce pape a voulu restaurer les peintures de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine dans leur beauté originale en enlevant toutes les corrections de pudibonderie. De la même  manière,  il a taché de restaurer avec sa théologie du corps la beauté originale de la sexualité humaine, comme expression corporelle de l’image de Dieu.

 

La contraception démasquée

 

Les synodes sur l’amour dans la famille (2014-2015) et l’exhortation Amoris laetitia ont clairement confirmée la doctrine de Paul VI et de Jean Paul II concernant le grand danger de la contraception artificielle.   Dans le passé  la médecine,  la philosophie et  la théologie étaient aveuglée par le succès vertigineux, pharmaceutique, mondial,  commercial de la contraception. Elles n’ont pas vraiment réfléchi sur ce que c’est la contraception. Maintenant nous comprenons mieux sa puissance destructrice. Physiquement  est-elle une dislocation et suppression radicale de l’organisme éminemment subtile de la fertilité féminine,  qui influence profondément la vie de chaque femme  jour après jour. Humainement  est-elle un rejet de la responsabilité personnelle pour ses propres actes et cette responsabilité est le cœur de la dignité de l’agir humain. Théologiquement  est-elle la négation d’une loi naturelle de grande conséquence et d’une loi divine. Tout cela ne peut pas rester sans conséquences dramatiques pour l’homme lui-même.  La « culture contraceptive » a été un mal absolu qui a ruiné aussi bien la santé physique que la santé spirituelle des fidèles.

Parmi ceux qui ont bien réfléchi sur la contraception se trouvent e. a. Jérôme Lejeune (+ 1994), illustre généticien à Paris, qui a découvert la trisomie 21 (‘mongolisme’), le dr. Siegfried Ernst (+ 2001), ancien président du synode Luthérien de Baden-Württemberg, l’archevêque Karol Woytila, le futur pape Jean Paul II (+ 2005) et le pape Paul VI (+ 1978). Leur combat, souvent solitaire, a été couronné par les évêques du synode sur l’amour dans la famille et finalement par le pape François dans son exhortation actuelle. Ainsi finiront les discussions sur la légitimité de la contraception dans l’Eglise du dernier demi-siècle. Malheureusement, celui qui a pleinement compris l’importance réelle de la contraception, c’est Pierre Simon (+ 2008), deux fois grand-maitre de la loge française et le plus puissant conseiller pour la politique familiale. La contraception était pour lui le levier  pour enlever toutes les valeurs chrétiennes de la famille.

Amoris laetitia nous montre clairement que nous avons tous les moyens nécessaires pour dépasser cette « culture de la mort ». Il y a des perspectives pleines d’espoir.  C’est l’esprit prophétique de l’encyclique Humanae vitae (25 juillet 1968) et celui de  l’exhortation Familiaris consortio (1981). Ce sont les méthodes naturelles de la maitrise de la fécondité, scientifiques et efficaces (e.g. Sensiplan®” pour la Belgique et les Pays –Bas). C’est la riche « théologie du corps » si bien enseignée par le saint pape Jean Paul II. Voilà ce qui pourrait changer d’une manière fondamentale notre culture  en une culture ouverte à la vie, à condition que nos évêques et le clergé,  nos théologiens et les responsables de la pastorale  aient bien assimilé  cette vision, basée sur la foi en la révélation divine,  et  qu’ils aient  le courage de la propager face à une opinion publique qui reste acharné hostile à la doctrine chrétienne de la transmission de la vie.

 

Les relations homosexuelles

 

L’exhortation est claire sur les relations homosexuelles: « les unions de fait, ou entre personnes du même sexe, par exemple, ne peuvent pas être placidement comparées au mariage » (nr. 52). « Il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille. Il est inacceptable que « les Églises locales subissent des pressions en ce domaine et que les organismes internationaux conditionnent les aides financières aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le “mariage” entre des personnes de même sexe » (nr. 251).

Amoris laetitia parle amplement de différentes  difficultés pour les couples et leurs familles et donne aussi beaucoup de suggestions concrètes pour surmonter les  défis. Eh  bien, le lobby de l’homosexualité est une des plus grandes puissances médiatiques de notre temps et il n’y a pas un pays ou une communauté qui peut en échapper. Il augmente la culture de la mort dans notre  temps. Pourtant, dans ce document papal il n’y a aucune explication ultérieure sur les relations homosexuelles elles-mêmes ni sur leur influence destructrice sur la société actuelle.

 

Conclusion

 

Dans son exhortation Amoris laetitia le pape a suivi pour une grande partie les suggestions doctrinales proposées par les évêques durant les synodes de la famille (2014-2015). Lui-même a ajouté beaucoup des considérations pastorales sur les différentes situations du mariage et de la famille en notre temps. C’était une approche caractéristique empreinte d’humanité et de miséricorde. Pour certains points ce document manque de clarté doctrinale, spécialement pour la situation des divorcés remariés. Abstraction faite des confusions énumérées plus haut, Amoris laetitia nous donne une confirmation claire de la doctrine  traditionnelle de l’Eglise sur la sexualité, le mariage et la famille. Ce document papal a aussi clôt,  en s’inscrivant pleinement dans la ligne de la tradition, une des discussions des plus amères dans l’Eglise du dernier demi-siècle : celle de la contraception artificielle.

 

dr. Daniel  Maes o.praem.                         Mar Yakub, Qâra, Syrie                    25 Juillet 2016