Après la dernière relation que nous avons écrite, la situation a évolué ici dans la région. Nous avons d'abord eu les bonnes nouvelles que le père Jaques Mourad est libre, sans vouloir trop divulguer les détails de sa libération, pour ne pas nuire aux chrétiens qui sont encore dans Qaryatayn. Il considère comme un miracle le fait qu'il se retrouve libre et il donne un beau témoignage de son expérience à ceux qui l’ont contacté après sa libération, car c'est la prière qui lui a donné la force de faire face à cette grande épreuve. Père Jacques était le supérieur d'un ancien monastère syriaque, récemment restauré, dédié à Saint Elian dans le village de Qaryatayn. Il est celui qui avait fait connaître notre monastère à notre Mère. Nous vivons ici dans une paix relative, en dépit du danger constant. Et tant dans l' interview que le PJacques a donnée à l'association SOS Chrétiens d'Orient, que dans les paroles de notre évêque Monseigneur Jean Arbach, qui nous a visité avant de voyager vers certains pays , où il est invité pour témoigner et demander l'aide pour les chrétiens, on entend dire que le courant d’émigration est un véritable fléau et une blessure pour le peuple syrien, du fait de la continuité de la présence chrétienne dans la terre de la Révélation qui ne s’était pas démentie depuis 2000 ans..
Toutefois,
la nouvelle principale a été l'implication de la coalition que représente la Russie, dans la lutte contre les terroristes aux côtés et en collaboration avec l'armée syrienne. L'arrivée de la
Russie laisse le pays divisé entre deux opinions: l'immense majorité de la population se félicite de cette initiative, tandis que ceux qui sont contre le gouvernement l'appellent la nouvelle
croisade, qui cette fois au lieu de venir de l'Europe vient de la Russie. En réaction à l'activité de l'aviation russe on entend deux échos: les combattants ISIS désertent et fuient les lieux
qu'ils occupent, mais aussi ils réagissent de manière féroce, et attaquent ici et là dans les zones qui ne sont pas soumises à des attaques aériennes russes manifestant qu'ils sont toujours
présents. Ainsi au début des opérations, ils avaient attaqué un mariage ici dans la région ; on a su aussi qu’ils avaient réussi à couper sur 9 km la seule route encore libre pour
fournir Alep, la grande ville de capitale du Nord-qui fut la capitale économique et industrielle du pays- et qui est encerclée, ville dont la population subit un véritable martyre à
long terme, coupée en plus du reste du monde; l'attaque de la route a fait de nombreuses victimes parmi les soldats, parce qu'il semble qu'ils avaient de nouvelles armes plus
puissantes. Quelqu'un nous a dit: "Ils tuent nos jeunes! Ils nous les tuent comme des mouches ... "Finalement la première semaine de novembre une offensive de l'armée a réussi à reprendre le
contrôle de cette voie et fait obtenir un bon nombre de camions d'approvisionnement pour l'aide nécessaire à la ville.
Ici, dans la région, on a également observé plusieurs attaques: un village qui est plus proche de Qaryatayn, Mheen a été pris par ISIS et ensuite a été attaqué le célèbre village syriaque
orthodoxe de Sadad, dont nous avons parlé dans l'article précédent. Il semble que, souvent, il y a quelqu'un de l'intérieur qui collabore avec ceux du camp opposé, passant des informations
qui mettent en péril la sécurité des villages. Quelqu'un nous a dit: "Il suffit d' une ou deux personnes qui font cela pour que ISIS puisse pénétrer dans un village."
Le dimanche matin, 1 er novembre, fête de la Toussaint, nous avons reçu un appel téléphonique disant que cinq familles Sadad, environ 30 personnes voulaient se réfugier dans le monastère.
Nous avons commencé à préparer une place pour eux en regardant les matelas qui nous restent, etc... Le Père Georges, curé du village, venu célébrer la messe au monastère ce matin-là, a
déclaré qu'il ferait appel à ses paroissiens pour ouvrir leurs maisons, afin que toute la pression de l'hospitalité aux réfugiés ne soit pas sur le monastère; aussi parce qu'eux aussi ont été
des réfugiés et c'est à leur tour de rendre la pareille, tout en prévoyant que la plupart trouveraient refuge dans les villages de Feyruzé et Zeidal habités par des chrétiens du même
rite.
Dieu merci, les milices chrétiennes de la ville ont pu se défendre contre les diverses attaques ISIS et les gens ont donc été en mesure de rester ou de retourner dans leurs foyers ; ils
ne sont donc pas venus (sauf une famille à Qara). Toutefois, le danger n'est pas loin: pour les terroristes, gagner Sadad signifie avoir le contrôle d'une partie de l'autoroute reliant Damas
au nord du pays et presque atteindre la frontière avec le Liban, et de même les montagnes qui sont également sous la puissance de l'ISIS, ce qui signifie presque couper en deux ce qui
reste du territoire syrien libre et sans danger pour la population. Dernièrement, il semble que l'armée et ses alliés tentent de reprendre le territoire dans ce domaine afin de minimiser ce
danger et l’éloigner de Sadad. Ils ont déjà repris Mheen et ils s’apprêtent à commencer Qaryatayn.
Une certaine angoisse nous a pris de voir le danger encore
plus proche du côté Est, sans perdre la confiance en Dieu mais en voyant la souffrance de la population: la même nuit où nous appelions l'intercession de tous les saints sur le village de
Sadad, nous subissions une attaque venant de la montagne voisine. Cette fois, il semble qu'on ait apporté des armes lourdes sur un pick-up, avec la capacité de causer des dommages
importants à Qara et au monastère. C'était très dangereux, mais les soldats qui gardaient la région, ayant remarqué la manoeuvre, ont pu les neutraliser avant qu'ils soient prêts à attaquer.
Question de quelques minutes ... mais le danger demeure, parce que même si les tentatives continuelles ont fait long feu, un jour il peut atteindre son but: de nouveau nous sentons la
conviction que c'est vraiment la prière qui peut nous protéger, nous ici au monastère et les gens autour de nous. Ces derniers jours, nousavons plus souvent entendu le bruit des avions qui
passent et parfois bombardent à distance, ainsi que des coups quelques fois plus près, d'autres plus loin. Bien que, en principe, ce soient de bonnes nouvelles, ça nous rappelle toujours
l'époque où le monastère a été lui-même bombardé et laisse un peu d'appréhension et de crainte dans certains d'entre nous et l'instinct de se réfugier et de se protéger.
Initiatives pour soutenir la population
Par contre les gens se sentent rassurés par la présence du monastère qui a faittout le possible pour aider dans cette grande épreuve vécue par le pays. A l'heure actuelle, le plus grand effort de notre équipe de secours avec le monastère est d'offrir ici dans la région des cours pour aider les gens à trouver des moyens simples pour gagner leur vie et soutenir leurs familles, en collaboration avec le Croissant-Rouge et le UNFPA, parce que la pauvreté s'installe: les prix sont trop élevés, il ya de nombreuses personnes déplacées qui ont besoin de tout (surtout le pain quotidien) et de nombreuses familles déchirées par l'émigration, l'enlèvement ou la mort d'une personne proche: souvent la mère reste seule avec 3 ou 4 enfants d'âge scolaire, on en arrive à retirer de l'école un des enfants pour travailler et aider à soutenir la famille ou à prendre soin de la maison et des plus jeunes. Et pour donner une idée, une personne qui a déjà eu un salaire de £ 50,000, maintenant obtient seulement environ 5,000 et avant, le dollar était de 50 livres et maintenant 400 ... et heureux sont ceux qui ont encore un emploi! Maintenant à l'approche de l'hiver dans cette région montagneuse où le froid resserre, beaucoup ne peuvent pas se permettre d'acheter de l'huile de chauffage (mazout) ou des tapis ou des vêtements chauds. Les parents ont dit: "Nous les grands, nous endurons; le pire sont les petits ...» On entend dire aussi comment le prêt-à-porter est cher sur le marché et c'est mieux de vivre avec le minimum...
Au début de l' hiver, notre équipe a distribué ce qui était en réserve ou que des bienfaiteurs nous envoient de partout dans le monde vers les ports de Tartous et de Lattaquié. Il ya là-bas une équipe familiale qui, nuit et jour sans arrêt, s'est dédiée sans réserve à ce travail exigeant avec les autorités, la vérification et la distribution de tout ce qui y vient principalement des vêtements, de la nourriture, des médicaments et du matériel aux hôpitaux qui sont répartis dans la région côtière de Tartous et de Lattaquié, ainsi que dans les régions de Idlib, Homs, Qalamoun et de Damas, car en plus de la population locale il ya aussi des réfugiés qui viennent trouver refuge dans ces zones défendues par l'armée.
Nos Frères ont appris au Liban la fabrication industrielle de bougies sur deux machines, que grâce à Dieu nous avons pu acheter avec l'aide de plusieurs bienfateurs, faire sortir du Liban et amener au monastère- même à travers de grands dangers. Le jour où les machines sont arrivées à Qara, la veille de la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, les camions devaient aller à la vitesse de 15km/h (à cause du poids) et sont passés sur la route près du village de Adra: ce jour-là il a été attaqué et il y avait de lourds combats, mais Dieu les a protégés et ils sont arrivés au monastère le lendemain avec le matériel pour être mis en place le jour même, non sans quelques difficultés techniques. Après un certain temps de rôdage deux ouvriers travaillent déjà, mais pas encore à plein, parce que nous manquons de certains produits ou fournitures qui permettent d'obtenir une performance maximale. Les employés prennent leur congé différemment : le chrétien le dimanche et le musulman le vendredi. L’usine fonctionne donc du lundi au samedi. Ils sont si heureux d'avoir un emploi dans notre petite 'usine' qu'ils feraient volontiers des heures supplémentaires...
Au village, l'équipe donne aussi des cours de couture (les machines sont enfin arrivées et beaucoup de gens se sont inscrits sur plusieurs semaines). De même: premiers secours, travaux d'artisanat, travaux d'aiguille, langues et d'autres sujets pour aider les élèves des écoles et les tapis faits main pour les personnes handicapées qui peuvent ainsi aider leurs familles tout en étant eux-mêmes occupés. Il ya aussi le projet de culture de champignons ( en commençant dans la grotte du monastère) et d'autres comme la fabrication de meubles simples, mais surtout on cherche le marché, pour faire quelque profit à ceux qui travaillent… Dans le village de Nabek l'équipe a collaboré avec le Croissant-Rouge pour donner des cours de crochet, premiers soins, artisanat, réparation de téléphones cellulaires, révision de diverses disciplines scolaires surtout pour les étudiants qui sont dans les années terminales.
Notre évêque a aussi promu des actions similaires au sein de
son diocèse, ce qui a aidé les femmes éprouvées par un deuil à revenir à la vie sociale à travers le travail.
Certains membres de l'équipe se dédient à rechercher et à visiter les pauvres pour leur donner ce dont ils ont le plus besoin, parce qu'il ya des gens qui vivent assez mal: il ya ceux qui n'ont pas de toit sur la maison, des matelas pour dormir ou les ustensiles de cuisine et parfois il ya beaucoup de personnes malades dans la même famille qui ont besoin de tout ou des familles vivant des déchets ménagers ou objets recyclables, quelque chose de jamais vu auparavant en Syrie, et ils attrapent des maladies ... parce que dans la culture orientale les gens qui sont vraiment dans le besoin ont honte de l'admettre. Cette année il a plu beaucoup plus que d'habitude et nos gens sont descendus au village pour évaluer les besoins de ceux qui n'ont pas leur maison préparée pour de fortes pluies.
Une autre action importante, surtout de la part de notre Mère, est l'activité du mouvement Mussalaha (de la réconciliation). Par conséquent, nous recevons des appels de gens qui cherchent à trouver ou demander de l'aide pour récupérer un parent, mari, fils, frère, disparu, enlevés ou emprisonnés. Mais nous avons su dernièrement, que ce genre d'action de médiation est impossible actuellement dans notre région à cause du danger: on ne peut plus chercher les gens dans la montagne. Notre Mère se dépense sans compter, nuit et jour, pour porter secours à ceux qui souffrent, tout en ne pouvant pas encore actuellement rester dans le monastère pour la sécurité d'elle autant que de nous tous ici. Dernièrement, outre la gestion habituelle de l'entrée de conteneurs et d'autres questions, elle s'est occupée à installer le troisième hôpital mobile, celui-ci pour la région d'Idleb, et un autre à venir sera le quatrième.
Notre arme principale: la foi
Nous tâchons de poursuivre notre vie de prière et de service ici, à l'endroit où le Seigneur nous a plantés afin que la paix et le salut de Jésus-Christ viennent à ce peuple, parce que nous
croyons que Lui seul apporte le salut et la lumière au monde entier , et seulement la foi en Lui pourra nous secourir dans ce
temps de ténèbres pour le monde entier. Le mégalomartyr Saint Jacques le mutilé, patron du monastère, nous a inspiré de lui consacrer un coin prière dans le corridor d'entrée: là où tout le
monde passe, on peut maintenant arrêter quelques instants sa course pour se recueillir devant son image; il était chef d'armée et ne nous oublie pas: quelques anciens encore sont ravis de
raconter comment eux ou des voisins l'ont vu sous la forme d'un cavalier faisant le tour de sa propriété, ou tabassant un voleur qui dérobait du raisin, comment aussi plusieurs enfants ont vu
le jour ou ont été sauvés de la mort par son intercession, ici au Monastère: nous en connaissons plusieurs.... nous voulons aussi faire là un mémorial -même modeste- aux martyrs de
cette guerre et nous nous réunissons volontiers en fin de soirée pour prier sous sa protection et son intercession. Certains employés de l'État qui viennent ici pour travailler le samedi ont
aidé à porter une ancienne pierre sculptée, aussi lourde qu'une automobile, qui est probablement un monument syriaque: elle comporte un panneau triangulaire, représentant une croix avec
d'anciens symboles et est tout autour couverte d'écriture arabe: dans l'ancien temps une persécution semblable a dû forcer de cacher cette ancienne langue- le syriaque- sous
l'alphabet arabe, car on ne peut pas reconnaître avec certitude ce qui est écrit ... O Saint Jacques-le-mutilé, priez pour nous!
Nous ne pouvons pas finir notre relation sans un mot sur les attentats de Paris: ici, les gens ont pu entendre, mais n'ont pas dit grand-chose: ce qui est arrivé là-bas arrive plus ici et tous les jours, depuis 5 ans (à cause du nombre de fronts…): "Maintenant, tant parler de Paris et jusqu'ici personne n'a eu souci de nous." Les personnes qui disaient cela avaient les larmes aux yeux: hier devant leur maison à Damas: quel spectacle de destruction : quatre voisins bien connus morts ; le même jour des étudiants blessés (qui auront besoin de plusieurs opérations) dans l’école où seraient leurs enfants s’ils habitaient encore là-bas. Et ce n'est pas la première fois ...
De faite à force d’entendre ou de voir des rapports de
massacres, horreurs, destruction, les gens ont pris un pli d’insensibilité et d’une certaine dureté de cœur. Il en est bon nombre qui ont arrêté de regarder les nouvelles pour essayer de
continuer de continuer leur vie comme si de rien n’était, pour maintenir le moral, et un instinct de défense
fait qu’ils ne se laissent pas aller à trop de compassion.
Ces attentats étaient à craindre pour l’Europe: aujourd'hui, nous sommes comme les vierges folles de l'Evangile qui n'ont pas gardé l'huile pour l'époque où il sera si nécessaire d’avoir sa
lampe allumée : Jésus nous a également averti que 'ceux qui sont morts en ce temps-là dans la chute de
la tour de Siloé ou bien crucifiés par Pilate, n'étaient pas des pécheurs pires que les autres, mais que si nous ne nous convertissons pas, nous périrons tous de même'. Le message donné à
Fatima nous alerte de la même façon : encore aujourdhui, que Dieu ait pitié de nous pour qu'il ne soit pas trop tard!
Conclusion
Tous les pays sont tenus à respecter les lois internationales et les lois humanitaires internationales, y compris les grandes puissances : cela est très grave de les violer même lorsque leurs très puissants moyens de communications le cachent et montrent qu'au contraire ces pays très puissants font le bien et désirent le mieux pour les autres pays. En réalité on les reconnait à leurs fruits. Ils vont, ils viennent chez nous. Ils parlent et donnent des conseils à tout le monde. Mais ils sont la cause de la destruction de notre région et des millions de morts que cela engendre depuis des années. Ils mettent le feu -le feu du terrorisme, de la rébellion, de l'islamisme, du radicalisme- et après ils accusent les autres, voire les victimes de ces terroristes, puis ils se présentent comme étant les seuls qui peuvent éteindre le feu pour en finir avec le terrorisme qu’ils ont aidé à s’implanter et à prospérer.
Nous avons témoigné à plusieurs reprises sur la réalité dramatique de la situation chez nous ; dès le début, le terrorisme a frappé la population sans merci. En un seul jour -début décembre 2011- notre Supérieure a compté plus de 100 personnes assassinées à Homs sans aucune raison, mais personne ne nous a cru. Au contraire on nous a raillés et critiqués. Maintenant c’est trop tard. Le monstre qui sévissait chez nous a grandi encore plus. Il s’est infiltré dans beaucoup de pays, comme la teigne. Il faudra détruire beaucoup avant de l’éradiquer. A cause de leur indifférence et de leurs intérêts à courte vue, les dirigeants des pays occidentaux ont été mordus par le serpent qu’ils ont contribué à élever.
Maintenant que tout l'Occident enfin
se réveille à une réalité qui n'a rien de nouveau, mais a déjà fait des milliers de victimes, non seulement physiques mais surtout morales, nous voulons nous souvenir des victimes de la même
violence que ces mêmes médias ont "oublié" de se rappeler et ne sont pas moins dignes de compassion ou d'attention: le Moyen-Orient, la Syrie, l'Irak et d'autres pays, et tout récemment les
224 victimes de l'attentat contre l'avion russe qui a décollé de l'Egypte le 31 Octobre et les 40 personnes de l’attentat commis à Beyrouth le 12 Novembre. Ils sont victimes de ce qu'on appelle aujourd'hui 'ISIS' mais a et a eu un certain nombre de
dénominations ; et pauvres sont ceux qui continuent à nourrir la dégénérescence de l'humanité à travers ces idéologies qui ont soulevé la barbarie des temps anciens.
Les apparitions et les messages de Fatima ont été un soutien et une consolation pour nous. Puisse-t-Elle continuer à être notre victoire, 'car dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur.'