Hommage à Mère Agnès Mariam


Quand Mère Agnès Mariam vivait encore dans le monastère de clôture du Carmel de Harissa (1971-1992), au Liban, elle était déjà impliquée dans l'aide humanitaire. Puis, dans les années 90, après avoir quitté les murs du Carmel avec la bénédiction de ses supérieurs pour commencer une nouvelle fondation religieuse, elle n'a jamais cessé de se soucier du sort des pauvres à la suite de la guerre du Liban (1975-1990). Maintenant, depuis le début du conflit syrien, elle a déplacé des montagnes pour le peuple syrien avec la grâce de Dieu: tout d'abord, elle est devenue une porte-parole à la communauté internationale de ce qui se passe réellement en Syrie, et d'autre part, elle a coordonnées de nombreuses actions d'aides humanitaire à travers le pays. Voici son histoire depuis le début de la crise syrienne.

 

Mère Agnès n'a jamais recherché la gloire ou la louange. Nous voulons vous présenter (une partie) de son travail, pas pour glorifier sa personne mais comme une preuve de la puissance merveilleuse de Dieu qui travaille à travers ses petits enfants qui se confient en Lui. Que Jésus soit loué!

Travaille sur le terrain

 

Mère Agnès-Mariam et Sœur Carmel (photo) – toutes les deux libanaises - ont rapidement perçu que, depuis le début de la crise syrienne, il y avait une manipulation des médias qui mettait la vie des civils en danger. Au début de Novembre 2011, Mère Agnès Mariam a invité 16 journalistes internationaux pour témoigner de ce qui se passe réellement en Syrie: ils ont affirmé la présence de groupes armés non identifiés qui attaquaient des civils et des forces de sécurité. Depuis le début du conflit, elle n'a pas cessé de témoigner de cette injustice et, en même temps, elle a fait tout en son pouvoir pour aider les victimes. Son témoignage de la vérité et son aide aux souffrants ne pouvait pas passer inaperçu; elle a rapidement reçu des menaces contre sa vie. En Juin 2012, elle a dû quitter le monastère à la hâte avec sœur Carmel. Son absence est une protection pour elle et pour les autres membres de la communauté parce que maintenant le monastère n’est plus nécessairement une menace pour les rebelles. Et depuis, ils ne peuvent plus vivre au monastère: une grande souffrance pour eux et pour nous, la communauté ici à Mar Yakub.

Cependant, à partir de leur refuge, ils n’ont pas cessé de s’engager nuit et jour pour le cause  de la paix en Syrie, pour les gens en détresse et pour la communauté. Mère Agnès-Mariam a fondé trois centres d'aide humanitaire: un au monastère de Mar Yakub (voir photo), un à Jeramana (Damas) et un à Khrab (Tartous). L'aide financière, la nourriture et les vêtements ont été et sont distribués en coordination avec le Ministère des affaires sociales, avec le ministère de la Santé et avec le Croissant-Rouge, par un groupe de bénévoles, à proximité du monastère, qui forment "l'équipe de la paix et de la réconciliation". Ainsi, plus de 2 millions de dollars, un hôpital mobile, une clinique mobile, sept ambulances et des dizaines de conteneurs ont été en mesure de soulager les souffrances du peuple syrien. Ici, nous remercions nos innombrables bienfaiteurs dans le monde entier.

 

Mère Agnès-Mariam a fondé un groupe international de soutien à la réconciliation nationale, le mouvement "Mussalaha". "Mussalaha" signifie « la réconciliation » en arabe. C’est une initiative inestimable parce qu'elle vise à guérir les blessures entre les différents groupes ethniques et religieux à travers le dialogue: faire des ponts de réconciliation plutôt que la division. Tous les chefs des tribus syriennes y sont représentés. C’est un mouvement de reconstruction spirituelle qui est très important en ce temps de guerre.

 

Personnellement Mère Agnès-Mariam a été en mesure de libérer des milliers de personnes prises en otage, même au risque de sa propre vie, comme dans la libération de 5000 civils à Maadamiyye en Novembre 2013 [voir la vidéo ci-dessous - en anglais]. Elle est reconnue comme celui qui représente tous les syriens sans distinction de religion, de langue ou appartenance ethnique. Les syriens l’appellent souvent "Mama".

 

Mère Agnès-Mariam a accepté des invitations pour  témoigner dans le monde entier de ce qui se passe réellement en Syrie: à Rome, Bruxelles, Paris, Genève, Londres, Irlande, Australie, la Malaisie, les États-Unis, Corée du Sud,… Elle a organisé la visite de militants pour la paix en Syrie et a pris part un an plus tard dans leur pèlerinage historique en Iran et en Syrie. Dans son travail pour la réconciliation, elle a risqué sa vie à plusieurs reprises, notamment dans ses visites à des régions en conflit.

Elle a partagé la douleur des citoyens survivants des villages alaouites de Lattaquié où les terroristes avaient commis un massacre horrible et enlevé un grand nombre de femmes et d'enfants en début d’Août 2013. Deux semaines plus tard, les survivants ont reconnu leurs enfants enlevés dans des vidéos (photo) professionnelles qui étaient diffusés dans le monde entier comme preuve que le gouvernement syrien gazait son propre peuple. Grace au rapport très détaillé (cliquez ici pour lire le rapport - lent téléchargement) qu'elle a fait, Mère Agnès-Mariam a été en mesure de prouver que les vidéos étaient fausses. Pour cela, elle a reçu une reconnaissance internationale parce que les américains étaient sur le point d'attaquer la Syrie depuis la Méditerranée à cause de cette prétendue utilisation d'armes chimiques. Mais le New York Times a rapporté ce qui suit le 21 Septembre 2013: «Quand le ministre des Affaires étrangères de la Russie, Sergey V. Lavrov, a voulu renforcer son argument que les rebelles avaient effectué les attaques au gaz toxique proches de Damas le 21 août, il a souligné le travail d'une religieuse de 61ans, d'origine libanaise qui avait conclu que les vidéos horribles montrant des centaines de morts et de victimes d'étouffement, dont de nombreux enfants, ont été fabriqués à l'avance pour fournir un prétexte à une intervention étrangère ".

Toute cette activité a incité Mme Mairead Maguire (photo), lauréat du prix Nobel, à nominer Mère Agnès Mariam pour le Prix Nobel de la paix 2014. Les deux femmes ont travaillé ensemble pour la paix en Syrie, faisant parti des premiers à mettre en garde la communauté internationale sur le terrorisme islamique en Syrie deux années avant que les médias en ont parlé. 

 

Récemment Mère Agnès Mariam a été nominé finaliste pour le Prix publique de la paix

Motivation spirituelle

 

Pour un regard plus détaillé sur la mission de Mère Agnès depuis le début de la crise en Syrie en mars 2011, nous référons à cet excellent article qui parut dans le magazine catholique australien Kairos le 12 novembre 2012 dont nous avons traduit une partie du contenu ici. L’article est intemporel, car il témoigne de sa vision spirituelle sur le conflit et de situations qui sont toujours actuels aujourd'hui. Les parties du texte qui se trouvent entre [] sont des compléments de nouvelles récentes que nous avons ajoutées.

(http://www.cam.org.au/News-and-Events/Features/General-Features/Article/13635/Time-out-with-Mother-Agnes)

 

« Heureux les artisans de paix » - Matthieu 5:9

 

[Question du journaliste] : Parlant en tant que personne qui a vécu sur le terrain en Syrie, quel est la nature de cette guerre ?

 

Mère Agnès : Il n'y a pas de guerre civile en Syrie, il y a des tentatives pour en faire une guerre civile, il y a une pression pour transformer le conflit en un conflit sectaire; nous avons vécu ce genre d’expérience au Liban, nous l’avons vu en Irak et aujourd'hui nous le voyons dans la Syrie.

 

Aujourd'hui, en Syrie, il n'y a pas de sécurité (…) C'est notre sort aujourd'hui en Syrie : vous pouvez être enlevé, vous pouvez être tué, vous pouvez être volé, tout est possible, car il n'y a plus de sécurité. J'ai vu de mes propres yeux 100 cadavres à l'hôpital. J'ai vu des familles ramener les cadavres de leur père, de leur frère, coupés en morceaux, décapités. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient un facteur allant à son bureau, un laitier vendant son lait.

 

Les gens ont eu leurs maisons détruites, leurs magasins détruits, leurs cultures dévastées, leurs arbres abattus, nous régressons à zéro en Syrie. Ce n'est pas un dommage collatéral. En Syrie, il y a un plan clair pour détruire l'infrastructure du pays, les sites du patrimoine mondial, même la population civile sont les cibles directes des mercenaires extrémistes qui sont envoyés au combat, soi-disant pour la liberté et la démocratie, mais en réalité ils ont un agenda occulte pour réduire le pays à la pauvreté et c'est un scandale. [C’était la situation en 2012. Aujourd’hui ce n’est pas meilleur, au contraire].

 

[Question du journaliste] Quelle est la relation entre chrétiens et musulmans sur le terrain en Syrie ?

 

Mère Agnès : La Syrie est un endroit où vous avez un très riche tissu de communautés religieuses, de familles religieuses, de familles ethniques et de groupes culturels. Nous avons vécu ensemble pendant des siècles dans le respect mutuel. Nous n’avons jamais eu des tensions entre chrétiens et musulmans, au contraire, nous pensons que nous faisons partie d'un même pays, d'ailleurs de la même famille sémitique, les descendants d’Abraham.

 

Aujourd'hui, avec les tristes événements qui se produisent en Syrie il y a une tentative de changer cette citoyenneté dans une confrontation sectaire. La diversité au Moyen-Orient rend possible une meilleure compréhension et une meilleure mise en œuvre de la paix sociale et l'harmonie. Le Moyen-Orient est le berceau de la civilisation et doit toujours demeurer un exemple d'un lieu pour la paix et l'harmonie dans le monde.

 

Quelle est la différence de la vie en tant que chrétien en Syrie avant mars 2011 et  aujourd’hui?

 

Mère Agnès : C'est le jour et la nuit. Nous avions de la stabilité et de la sécurité, nous avions une vraie convivialité, tous les éléments du riche tissu de la société en Syrie. Nous pouvions aller en rue sans aucune crainte[1]. La Syrie était l'un des pays les plus sûrs au monde. Mais aujourd'hui, tout a changé. A la place de la sécurité nous sommes menacés, à la place de la stabilité nous avons le chaos, à la place du développement abordable durable nous avons la destruction de tout, et aujourd'hui, au lieu d'une ouverture progressive d'un système libéral qui s’ouvre vers plus de libéralisation, nous nous dirigeons vers l'inconnu.

  

Le fait d'être un témoin oculaire de cette horrible souffrance, cela vous fait douter dans votre foi de quelque façon?

 

Mère Agnès : Les événements en Syrie et dans le monde n’ébranlent en aucune manière notre foi en Dieu. Au contraire, ils renforcent cette foi, car nous voyons comment le Seigneur a de la patience et a donné le droit à l'humanité d'être responsable de ses propres actes et de décider pour lui-même. Cela signifie que, même quand mon frère commet des suicides et des crimes, je dois l'aider.

 

Quand on voit que tout se détruit autour de nous le Seigneur nous dit  qu’il faut lever la tête et être [éveillé], parce que notre salut est très proche, nous savons que Jésus Christ va revenir et qu’il est le Sauveur, Il va être la réponse à tous les échecs de l'humanité.  Alors, quand  tout s’est écroulé autour de nous, nous avons plus de confiance dans notre vocation, nous avons plus de confiance en notre Sauveur. Avec cette vision prophétique tout autour de nous, nous ne tombons pas dans le désespoir.

 

Vous avez rejoint le mouvement des hippies durant les années 1970. Pouvez-vous me dire quelque chose à ce sujet et sur votre appel de Dieu, qui a eu lieu durant ce temps ?

 

Je cherchais mon identité et je sentais que je pouvais construire une nouvelle identité en vivant une vie bohémienne.  J'ai parcouru ce chemin pendant deux ans, vivant comme un vagabond en Europe, au Moyen-Orient, en Inde, dans l’Himalaya. Ma vocation est venue immédiatement après avoir vu et vécu l'amour de Dieu dans ma personne, tout à coup je savais et je voyais que Dieu m'avait créé à son image et à sa ressemblance, et que  Son amour était personnel pour moi en tant que personne, et cela m'a rendu mon identité. J’ai été si loin pour chercher mon identité, je ne l’ai pas trouvé jusqu'à ce que je l’aie vu dans les yeux du Seigneur et immédiatement après l’avoir vu, j'ai reçu un appel pour me consacrer à vivre, dès ce moment-là, la vie éternelle que Dieu me donnait. Dieu nous a créés pour la vie éternelle, pour nous partager sa vie divine.

 

Comment l’icône de la croix vous fournit d’espoir en faisant face à la crise en Syrie ?

 

Mon nom est 'de la croix' - la croix d'Antioche. Cette croix est représentée dans une mosaïque dans une grotte de Nazareth et remonte au deuxième siècle. C'est la croix cosmique, il symbolise la croix qui rassemble les quatre coins de l’univers, il rassemble dans l'unité toute l'humanité. Comme Jésus dit dans l’Evangile de S. Jean Chapitre 12: «Quand je serais élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi. "

 

La croix est le fondement de l’unité ; c'est la croix, l'amour de Jésus qui nous a tant aimés jusqu’à donner sa vie pour nous. Pour nous, la croix n'est pas une menace, même si elle est un terrible destin. Nous n’aimons pas la croix pour elle-même, mais pour nous la croix est le passage du Bien-Aimé.

 

Les événements en Syrie purifient la Syrie ; même si c’est sanglant, il y a une miséricorde. Nous croyons que Dieu n'est pas loin dans ces événements. Et s'il passe par ce sort il alimente ce sort avec sa miséricorde d'une manière cachée et cela nous remplit d’espoir et de force pour que nous puissions passer à travers ces événements avec de l'espoir et avec foi. Nous pouvons alimenter notre amour et ainsi nous sommes engagés d’une manière consciente, non pas dans un processus politique - le processus politique est un processus secondaire. La croix est l'escalier vers le ciel. La croix nous donne plus de confiance parce que nous avons la foi dans la croix.

 


[1] Frère Jean-Baudouin: “Dans mon premier séjour en Syrien en 2008 j’avais loué un vélo à Damas. Quand je demandais au propriétaire de l’hôtel qui m’avais procuré le vélo s’il avait un cadenas il commença à rire et me dit : ‘tu n’a pas besoin de cadenas ici’.